Les enjeux de répondre à l’urbanisation en Afrique sont majeurs. Les modèles d’urbanisation occidentale des pays industrialisés ne sont pas toujours bien adaptées aux diverses réalités culturelles, démographiques et économiques à travers le continent. I faut que ce soit les africains eux mêmes qui prennent le lead pour définir ces modèles.

             by: Lesley Brown     –     25 juin 2020

Les nouveaux enjeux des mobilités africaines

10 juin 2020 : lors de cette séance (à distance) du think tank Futura-MobilityStéphane Eboko, spécialiste de l’innovation digitale tournée vers les mobilités en Afrique, a partagé sa vision du continent, suivi des pitchs de deux startups africaines : l’une opérant des vélos à assistance électrique et l’autre travaillant sur le partage des données de mobilité.

Avec une population d’environ 1,3 milliard d’habitants, l’Afrique est le deuxième continent le plus peuplé après l’Asie. C’est aussi un continent très jeune  près de 60 % de la population a moins de 25 ans – et qui affiche l’urbanisation la plus élevée au monde – on considère que chaque année 24 000 personnes de plus rejoignent les villes africaines ! En conséquence, d’ici 2025, il y aura 14 métropoles de plus de 5 millions d’habitants en Afrique et 200 millions de personnes en zones urbaines.

Source : présentation – Stéphane Eboko, 10 juin 2020

Dans ce contexte, M. Eboko identifie plusieurs défis pour les villes africaines. Les investissements sont relativement faibles pour l’infrastructure ou le logement. Il y a une disparité forte de l’accès aux transports : l’existence ou pas des services, l’accessibilité ou pas à ces services. En effet, quand les systèmes de transport public existent, leur coût pose souvent un problème aux populations « Dans les villes africaines en général, pour les foyers des plus défavorisés, le prix du transport public est très élevé », indique M. Eboko.

Par conséquent, la fréquentation du transport public ‘formel’, porté par les autorités organisatrices de transport (AOT), est relativement faible. Près de 80 % des gens utilisent le transport public ‘informel’ pour se déplacer – mini-bus ou autres véhicules qui ne sont pas soutenus par les autorités, fournissent des services à fréquence variable et qui roulent souvent sans trajets véritablement fixes. Quant à la voiture particulière, elle représente un très faible pourcentage de la part modale des déplacements.

Le digital pour des mobilités plus fluides

Pour Stéphane Eboko, certes l’urbanisation galopante de l’Afrique pose des défis, mais en même temps elle représente un levier important pour la croissance économique du continent. « La force de travail en ville sera plutôt jeune et il y a de l’engouement pour les avancées technologiques ».

Coté mobilité, parmi ces innovations M. Eboko observe plusieurs tendances comme le crowdsourcing, l’appel au grand public pour participer à la création d’un bien en commun. Ma3Route à Nairobi, par exemple, est une plateforme de crowdsourcing des données sur le trafic urbain. Elle permet à la population de partager et d’accéder à des informations sur l’état de la circulation, les conditions routières et même les accidents.

Source : présentation – Stéphane Eboko, 10 juin 2020

Puis il y a le modèle « open data » adopté par la startup WhereIsMyTransport (voir ci-dessous). Il s’agit ici de la création d’un jeu de données, de sa valorisation, son enrichissement et de son utilisation par les différentes parties prenantes, autorités de transport, opérateurs et voyageurs en particulier.

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Depuis 2015, la startup basée au Cap, WhereIsMyTransport, a cartographié les services de transport public « informels » dans plus de 27 villes, principalement en Afrique, en collaboration avec 500 collecteurs de données locaux.

Les données (sur les itinéraires, les fréquences) servent deux objectifs :

  • les gouvernements, les villes et les planificateurs de l’urbanisme et des transports peuvent les utiliser pour prendre des décisions d’investissement et de planification plus intelligentes pour que les futurs systèmes de transport répondent à des besoins réels ;
  • le public voyageur peut bénéficier, grâce à des informations actualisées sur les passagers et les services, d’une meilleure utilisation des systèmes proposés.

« Grâce à la technologie et aux données, notre équipe d’une quarantaine de personnes basée au Cap, à Johannesburg et à Londres vise à permettre à chacun de se rendre là où il doit aller« , explique Yohnny Raich, data product owner chez WhereIsMyTransport.

« Beaucoup de ces voyageurs pendulaires ont des priorités différentes comme le confort ou la vitesse ou encore le nombre de correspondances par voyage. Et leurs priorités changent fréquemment. Sans information, ces voyageurs ne peuvent pas établir de priorités et ne se sentent pas maîtres de la situation ».

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Enfin les mobilités partagées gagnent du terrain avec le développement du modèle économique de plateforme par les startups locales. Ces plateformes créant de la valeur en facilitant la rencontre et les échanges en temps réel entre l’offre, les chauffeurs de moto-taxi par exemple, et la demande, des clients par exemple. « C’est une innovation vis-à-vis des modèles économiques traditionnels, c’est-à-dire l’achat ou la production puis la vente de produit », souligne M. Eboko.

Au Nigéria par exemple, Jekalo est un pionnier du covoiturage entre particuliers. En Afrique du Sud, la startup de co-voiturage Lula met en relation les salariés d’entreprise avec des opérateurs de transport privés pour optimiser les trajets domicile-travail et créer un réseau de confiance. « Voici une innovation née du contexte, car en Afrique les trajets domicile-travail ne sont pas forcément un plaisir et souvent longs, inconfortables et coûteux », indique M. Eboko.

En effet il semble y avoir une prise de conscience en Afrique de l’impact de l’expérience du voyage sur la qualité de vie en générale des voyageurs, de l’importance d’une mobilité « sans coutures ». C’est avec cet objectif en tête que des startups ou sociétés technologiques co-conçoivent avec les urbanistes et les Villes les services de mobilité intégrés et complémentaires au transport public.

« Bien évidemment ce n’est pas nécessairement un concept nouveau pour nous [en Europe] », reconnaît M. Eboko. « Cependant ce qui est assez nouveau c’est la manière dont ça va potentiellement impacter des vies africaines … une mobilité qui sera beaucoup plus fluide, où l’espace sera partagé et où les modes de transport seront intégrés les uns aux autres dans des trajets sans coutures ».

Des vélos à énergie solaires

Sur un continent caractérisé par une abondance de soleil et de nombreuses zones rurales hors des réseaux électriques, le solaire devient une source d’énergie de plus en plus évidente pour encourager l’adoption de nouveaux modes de déplacement.

« C’est le cas pour les vélos à assistance électrique », observe M. Eboko. « La démarche de la startup Ebikes4Africa [voir ci-dessous], par exemple, est assez impressionnante et inspirante car elle fait aussi le lien entre les zones urbaines et rurales. [Ses vélos] permettent la mise en place de nouveaux services, comme des livraisons de colis, avec un impact environnemental relativement peu élevé et apportent des solutions à la congestion du trafic en ville ».

Source : présentation – Stéphane Eboko, 10 juin 2020

 

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Avec ses vélos électriques fonctionnant à l’énergie solaire, Ebikes4Africa cherche à proposer une mobilité abordable et durable pour les Africains.

« Ici en Afrique australe, la mobilité électrique est encore un concept très nouveau et les gens sont sceptiques parce qu’ils ne la connaissent pas », explique Marita Walther, cofondatrice de la startup basée en Namibie et fondée en 2014. Pour surmonter cet obstacle, son entreprise a introduit des vélos conçus localement, faciles à réparer et à entretenir, et dotés de particularités comme des pneus gras et des cadres extrêmement robustes pour faire face au contexte namibien, c’est-à-dire à des terrains extrêmement chauds et ensoleillés, souvent vallonnés et accidentés.

L’entreprise fournit également des stations de recharge solaires pour que les vélos puissent être utilisés partout, ainsi que des centres de recharge électrique, logés dans des conteneurs d’expédition modifiés qui peuvent être largués par avion n’import où, offrant des services supplémentaires comme la connectivité à Internet ou des points de collecte du recyclage. « Ils fournissent une solution clé en main conçue pour permettre aux communautés de bénéficier de la mobilité électrique et de l’énergie », ajoute Mme Walther.

En louant des vélos électriques à 30-40 dollars US (N$223-240) par mois, la société espère rendre ses services plus abordables que les taxis, le moyen de transport le plus populaire en Namibie, qui coûtent environ 60 dollars US (N$700-800) par mois.

Avant le Covid-19, le principal marché d’Ebikes4Africa était l’écotourisme dans les zones rurales, souvent hors du réseau électrique. Depuis le début du mois de mars 2020, la pandémie ayant durement frappé le tourisme, la société s’est diversifiée dans les livraisons en centre-ville.

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