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Le prospect du lancement d’une application sur smartphone pour localiser le propriétaire et identifier les propriétaires d’autres smartphone à une proximité et pour une durée susceptibles de constituer une situation d’infection de personne à personne du coronavirus, suscite beaucoup d’interrogations.

Est ce que la l’application en soi et/ou l’initiative du gouvernement est une enfreinte aux libertés ou une entorse au RGPD. Cet article apporte des éléments utiles au débat.

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Coronavirus : 59% des Français favorables à StopCovid, mais…

Une enquête Harris Interactive pour l’Observatoire Data Publica montre que 59% des Français approuvent l’application de traçage des malades du coronavirus StopCovid, qui doit voir le jour le 2 juin selon le gouvernement. Ils restent toutefois inquiets sur l’utilisation de leurs données personnelles pour ce projet et se disent mal informés en général sur l’utilisation de leurs données par les acteurs publics.

Alors que l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) a publié mardi 12 mai  les premiers éléments du code source de StopCovid sur la plateforme GitLab et que le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O a assuré que l’application sera opérationnelle le 2 juin prochain, après un passage devant les députés le 25 mai, le débat reste toujours aussi vif sur cette application de traçage des malades du Covid-19.

Débat technique d’abord. StopCovid, réalisé par un consortium public-privé en France, s’inscrit dans le projet européen mené par 130 institutions PEEP-PT (Pan Europen Privacy Preserving Proximity Tracing)… que  l’Allemagne et la Suisse ont quitté, préférant opter pour la solution proposée par les géants Apple et Google. Une décision qui relève aussi d’un débat éthique puisque le choix d’une solution centralisée (comme en France) ou décentralisée (sur les smartphones) entraîne des conséquences très différentes en matière de protection des données personnelles et de la vie privée. Autre écueil, les barrières mises en place par Apple et Google pour utiliser en tache de fond le Bluetooth : si l’application ne peut utiliser le Bluetooth en permanence, elle devient inapte à détecter les autres smartphones…

Depuis le lancement du projet StopCovid, de nombreuses enquêtes contradictoires ont eu lieu ces dernières semaines, montrant tantôt les Français très favorables tantôt très réticents à l’application.  Une vaste enquête Harris Interactive pour l’Observatoire Data Publica, publiée ce jeudi 14 mai, essaie de faire le point sur un sujet multiforme et surtout d’apprécier les enjeux qui dépassent la seule application et qui concerne les données.

Créer un cadre de confiance

“Le débat sur l’application StopCovid est une occasion importante de faire comprendre aux français comment et pourquoi les pouvoirs publics utilisent leurs données. C’est la seconde fois en quelques années, après le scandale Cambridge Analytica, que ces enjeux font la Une des journaux et l’ouverture des JT, il faut en profiter pour construire de nouveaux cadres et impliquer les citoyens dans les décisions”, estime Joël Gombin, vice-Président  de l’Observatoire.

“Ce n’est pas la première fois que l’on va utiliser la technologie Bluetooth pour conduire une politique publique. Elle est déjà utilisée dans des « villes intelligentes » pour réguler les déplacements, compter des voyageurs, optimiser la circulation et l’offre de services publics. C’est souvent une excellente chose, mais c’est fait sans débat et sans même information des usagers”, rajoute Mathieu Caps (Innopublica), trésorier de l’Observatoire.

“La France est en retard. La confiance ne passe pas par la loi.”

“La France est en retard sur la réflexion qui doit conduire à créer un cadre de confiance pour la gestion des données par les pouvoirs publics. Les anglo-saxons travaillent depuis des années sur la notion de « data trust » et même de « civic data trust » pour impliquer les citoyens dans le contrôle qui est fait de leurs données à des fins d’intérêt général. La confiance ne passe pas par la loi”, estime Jacques Priol (Civiteo), président de l’Observatoire.

La confiance est justement un élément clé qui a récemment conduit Occitanie Data, association qui rassemble des structures publiques et privées, du monde de la recherche et des collectivités de la région Occitanie, à proposer une charte éthique du Big Data, une première en Europe.


Les résultats de l’enquête

59% des Français favorables à StopCovid

59% des français sont favorables à la mise en place de l’application par le gouvernement. Ce chiffre est stable par rapport à des études précédentes (Harris Interactive le 7 avril : 61%). Les plus jeunes sont les plus favorables (65% des moins de 35 ans) ce qui dénote sans doute une plus grande aisance et habitude à l’utilisation d’applications dans la vie courante (et un plus fort taux d’équipement en smartphone).
Très logiquement, ce sont les français le plus inquiets face à la propagation de l’épidémie qui sont les plus favorables (64%).

… 49% sont prêts à l’installer…

49% des français ont l’intention d’installer l’application sur leur smartphone. Ce chiffre est relativement faible. Il est en baisse de près de 30% par apport à l’étude publiée par Oxford en avril qui est souvent mise en avant par les promoteurs du projet. Ce chiffre ne manquera pas non plus de relancer la polémique sur le seuil critique d’utilisateurs nécessaire à l’efficacité de l’application.
Ce chiffre s’accompagne de disparités : l’intention d’installer StopCovid est plus forte chez les moins de 35 ans (56%) ou en Région parisienne (54%) notamment.
Le gouvernement a fait le choix d’une technologie et d’une architecture centralisée qui fait débat chez les experts.

… mais 54% n’ont pas confiance

Bien que les données soient anonymisées, 54% des français n’ont pas confiance dans l’utilisation qui pourra être faite des données par le gouvernement. Et ce niveau de confiance explique de façon très corrélée l’intention ou non d’installer l’application.
89% des Français qui déclarent avoir tout à fait confiance ont l’intention d’installer l’application contre seulement 15% des moins confiants.
“Les chiffres démontrent très clairement que quelles que soient les garanties juridiques ou techniques affichées, l’acceptation d’un usage massif des données des citoyens passe par la confiance dans les usages qui en sont faits. Et cette confiance ne se décrète pas”, estime Jacques Priol.


Me Schéhérazade Abboub (Parme Avocats), Joël Gombin (Datactivist), Mathieu Caps (Innopublica) et Jacques Priol (CIVITEO).

Me Schéhérazade Abboub (Parme Avocats), Joël Gombin (Datactivist), Mathieu Caps (Innopublica) et Jacques Priol (CIVITEO). – Data Publica

Données : un tiers seulement des Français se trouve bien informé

L’observatoire Data Publica a voulu aller plus loin que la seule application StopCovid et a interrogé les Français sur l’usage des données.

L’utilisation massive des données des habitants, notamment en tant qu’usagers du service public, progresse de façon exponentielle, note l’observatoire : les applications nationales ou locales sont légion ; les données issues des smartphones constituent une source d’informations sans cesse plus importante (elles renseignent sur nos déplacements, nos habitudes de consommation, notre alimentation, nos préoccupations, nos inquiétudes, nos goûts et nos couleurs) ; les capteurs placés dans l’espace public sont de plus en plus nombreux…
Les acteurs publics, notamment les territoires engagés dans des projets de « smart  city » utilisent ces données, non pas à des fins commerciales, mais à des fins d’intérêt général, souligne l’observatoire qui cite comme exemples la régulation du trafic, l’optimisation de la gestion des parkings, la réduction des consommations énergétiques, l’amélioration de la gestion des déchets…

Des données de plus en plus nombreuses mais des Français ne moins en moins informés

Seulement 33% des français s’estiment bien informés de l’utilisation de leurs données par les acteurs publics. La catégorie la mieux informée, les CSP+, atteint seulement 38%.

“Ce chiffre illustre le fait que l’information légale est très insuffisante. L’immense majorité des acteurs publics applique les règles du RGPD et chaque citoyen peut disposer d’une information suffisante pour donner un consentement éclairé … à condition de savoir où chercher !”, observe Me Schéhérazade Abboub (Parme Avocats), secrétaire général de l’Observatoire.

Pour éviter que ne s’installe la défiance des Français envers l’utilisation de données, il faut recréer de la confiance. Pour cela plusieurs pistes : les Français souhaitent disposer d’informations systématiques sur…

  • L’anonymisation des données (84%)
  • Les modalités de contrôle de ses données par l’utilisateur lui-même (81%)
  • Les modalités de contrôle par la CNIL (80%)
  • La technologie utilisée (78%)
  • Le stockage des données (74%)
  • Les modalités d’un contrôle par un comité citoyen (71%)

“Défendre l’intérêt général ne suffit pas à susciter l’adhésion des citoyens et face à la multiplication des expérimentations il est urgent de réfléchir à des méthodes transparentes et démocratiques qui prennent en compte ces évolutions”, estime Mathieu Caps.

Profiter du débat StopCovid pour préparer l’avenir

“Nous devons profiter de ce débat sur StopCovid, qui va revenir en force dans quelques jours, pour tirer des enseignements et préparer l’avenir. De plus en plus d’applications vont être déployées. Les acteurs doivent s’inspirer de ce qui se passe dans la crise sanitaire pour inventer de nouveaux processus transparents et démocratiques”, estime Jacques Priol.

“Le pilotage des services publics par la donnée, notamment dans les villes, peut avoir des implications beaucoup plus graves encore que celles liées à la crise sanitaire, notamment en termes de protection de la vie privée. Il est possible d’inventer, à partir de cette expérience exceptionnelle, un cadre de confiance qui reposera sur l’implication des citoyens dans la définition des objectifs, sur la transparence des procédés comme des données, et sur un véritable contrôle démocratique.”

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