↑   Paris, France, le 18 mars 2020, contrôles de police place d’Italie. Ces mesures de confinement sont l’occasion pour Carlos Moreno de repenser sa manière de vivre en ville. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE

Les questions sur la vraie qualité de vie de la majorité de ceux qui vivent dans le mégapoles dans des espaces limités, tout comme pour ceux qui vivent en périphérie dans des surfaces plus grandes mais qui pendulent chaque jour, ne sont pas nouvelles.

Le confinement récent va certainement donner une plus grande priorité à la reconfiguration de l’espace, la mobilité, le travail et l’ensemble des services qui contribuent à la qualité de vie. Le Covid-19 provoquera un regard nouveau et un désir pour prendre en charge sa vie et mettre un nouveau “essentiel” en haut de l’échelle de Maslow.

                       le 20 mars 2020

Cette crise sanitaire est l’occasion de penser la ville du quart d’heure

Les mesures de confinement instaurées afin de lutter contre la propagation du coronavirus sont l’occasion de passer en ville à une autre temporalité, estime Carlos Moreno, professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises de Paris.

Nous voilà avec l’apparition du coronavirus, brutalement plongés dans la plus dure crise sanitaire de l’histoire moderne. Paradoxalement, cette menace mondiale agit aussi comme un révélateur d’un fait majeur de ce siècle : la force des villes.

Pour la première fois, nous devons réfléchir et agir sur la santé des citoyens, en ne leur apportant pas uniquement un soin médical, mais en leur proposant un autre rythme de vie, une autre sociabilité.

En effet, pour faire face à cette propagation virale, des mesures de confinement viennent bouleverser la vie quotidienne de millions des personnes. D’un point à l’autre de la planète, les villes se vident, les rues se désertifient, les grands lieux ferment, le pouls de la ville ralentit, sa configuration change. Le cœur de son organisation et son fonctionnement sont bouleversés. Une ville où se déroule de nos jours, l’essentiel du cycle de vie des hommes.

Un mode vie urbain désincarné

Cependant, selon les âges de la vie, de l’enfance à l’adolescence, puis de l’âge adulte au vieillissement, ce sont plusieurs univers urbains de vie qui coexistent, et pour l’essentiel s’ignorent. Cet anonymat, cette coexistence de diverses solitudes, souvent porteuses d’anxiétés et de stress, cette fragilité des personnes âgées et des enfants, sont le résultat d’un mode de vie qui s’est désincarné.

La vie urbaine est cadencée pour que chacun aille d’un lieu à l’autre, « plus vite et plus loin », sans aucune maîtrise du temps utile. Ces déplacements nombreux, qui empiètent sur le temps que nous pourrions consacrer à nos proches, nous conduisent à une forme de lassitude, voire pour certains à une sorte de méfiance, une peur de l’autre et de la différence.

Or, cette pandémie nous contraint à faire différemment la jonction entre l’habitat et le lieu de travail, et par là même à repenser ce mode de vie de production et de consommation, qui ignore nos voisinages.

Construire la ville du quart d’heure

La crise, qui nous oblige à raisonner en courtes distances devient ainsi une opportunité : celle de penser autrement, non pas la ville, mais la vie dans la ville, de redonner de la force à la proximité, de développer un maximum de services près de chez soi. Et de passer à une autre temporalité, celle du quart d’heure à pied ou par les mobilités actives – vélo, marche, trottinette, on encourage la « proximité multiservicielle ».

C’est la redécouverte d’un quartier, avec ce qui devrait être des espaces publics apaisés, arborés, végétalisés, rafraîchis, pour qu’ils soient des lieux de vie, de brassage, de rencontre. Pour que la rue, comme disait la militante et philosophe de la ville Jane Jacobs, « redécouvre ses yeux », pour qu’au-delà des formes, la ville soit façonnée par les usages.

Un lieu, plusieurs usages, et pour chaque usage de nouveaux possibles : c’est cela la ville polycentrique, celle du quart d’heure, qui est à la manière de la phrase de Pascal « une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part ».

L’infinitude est celle des usages proposés, des infrastructures polymorphes. Une discothèque transformée l’après-midi en salle de sport ; un centre sportif qui accueille des activités de soutien scolaire ; des ateliers de réparation d’objets dans un commerce de proximité ; une pièce de théâtre jouée dans un appartement ; des chants partagés d’une fenêtre à l’autre, comme on le voit dans cette période de confinement marquée par un foisonnement d’initiatives citoyennes.

C’est aussi l’autre vertu de cette approche : une participation citoyenne active pour faire vivre cette proximité, pour que chacun, chacune ait la possibilité d’accéder aux fonctions sociales essentielles en proximité : se loger, travailler, s’approvisionner, se soigner, s’éduquer, s’épanouir.

Un projet « Portes de Paris »

Le projet « Portes de Paris », porté par les équipes de la chaire ETI (Entrepreneuriat, territoire, innovation), utilise la technologie numérique pour explorer les ressources de proximité, établir des projections au regard des évolutions démographiques et sociales, afin de construire une feuille de route permettant de l’enrichir.

Dans le même esprit, à l’échelle de la ville monde, Melbourne développe un ambitieux projet « 20 Minute-City » dans l’esprit de reconquête de la redécouverte de la proximité.

Cette décentralisation de la ville est une feuille de route pour un avenir écologique et humaniste, qui offre un nouvel horizon urbain. Une ville où le temps existe de nouveau, utile et créatif pour soi et les siens.

Cet horizon est à la portée de toutes les villes, à condition de se fixer une feuille de route. Alors qu’en ces temps de confinement, les entreprises se reconfigurent dans l’urgence pour faciliter le travail à distance, on voit qu’il est possible de lever l’obstacle principal, que constitue le travail.

Demain, lorsque nous aurons laissé derrière nous ces moments difficiles, il faut garder cet élan, et se souvenir que se rendre tous les jours sur un lieu de travail, souvent éloigné, relève davantage de l’habitude de maintenir une structure hiérarchique imposée, que d’un vrai besoin fonctionnel.

Quand la seule solution est le « confinement », la ville du quart d’heure permet de reconstruire la solidarité et l’entraide, qui sont les vrais pivots du bien vivre. C’est aujourd’hui indispensable pour remédier à la fragilité du tissu urbain et des relations des habitants avec leurs territoires.

Carlos Moreno est directeur scientifique de la Chaire ETI (Entrepreneuriat, territoire, innovation) de l’IAE de Paris, université Panthéon-Sorbonne à Paris.

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