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Le terme “Smart City” est galvaudé – enfermé aujourd’hui avec des évocations qui n’inspirent ni désir, ni confiance.

Cet excellent article contraste une transformation des villes qui n’a que “la bonne gestion” pour objectif à une ambition de transition numérique des villes dans un projet large et surtout humaine.

Bravo !

        le 7 juillet 2020   –   par Joël Gombin, cofondateur et dirigeant de Datactivist

Mieux que des smart cities : des villes numériques ouvertes et humaines !

Les projets de smart city sont souvent dépolitisés, relevant “simplement” d’un souci de “bonne gestion”. À quoi pourraient ressembler des politiques de transition numérique des villes, répondant aux enjeux économiques, sociaux et écologiques actuels ?

La transition numérique des villes est une révolution silencieuse, dont il a peu été question lors de ces dernières élections municipales. Comme l’ont souligné récemment Antoine Courmont et Maxime Vincent, cette thématique (souvent appelée “smart city”) a fait l’objet d’une très faible politisation : c’est surtout sur le registre de la “bonne gestion”, de “l’efficacité”, de la “technique” que les projets ont été présentés.

Pourtant, la manière dont nos villes fonctionneront demain est un sujet fondamentalement politique. On peut s’attendre à ce que les nouveaux élus municipaux se saisissent de ces enjeux, dans un contexte où la demande sociale en faveur de l’écologie est forte. À quoi pourraient ressembler des politiques de transition numérique des villes, répondant aux enjeux économiques, sociaux et écologiques actuels ?

La transition numérique des villes à la sauce écologiste se doit d’abord de placer le citoyen au cœur de la réflexion. La smart city a été historiquement poussée par des entreprises informatiques (IBM en particulier) ; après l’échec de cette première phase, ce sont désormais les entreprises de service public qui poussent aujourd’hui commercialement leurs services… en attendant Google et les autres acteurs globaux du numérique.

Le point commun de ces acteurs est de promouvoir une vision gestionnaire, positiviste et techno-centrée de la ville. Or, la transition numérique des villes obéit aux mêmes règles que la transition numérique dans d’autres secteurs : ce sont les usages qui prévalent. Le citoyen, absent des travaux sur la smart city, si ce n’est comme objet passif qu’on doit, au mieux aider à se comporter en bon usager de la ville, au pire surveiller et punir, pourrait être placé au centre du dispositif. Ce choix peut se traduire tant du point de vue de la conception des services, que de l’architecture des infrastructures de données, par exemple.

La donnée étant le carburant de la ville numérique, l’acculturation à la donnée aussi bien des citoyens que des agents publics est une condition indispensable pour permettre une transition numérique qui inclut et non qui exclut. La donnée est trop souvent encore un facteur d’exclusion ou d’aliénation. Sa maîtrise, grâce à la littératie de données, peut devenir un facteur d’encapacitation, comme les travaux pionniers de la FING le démontrent.

Libertés et innovations démocratiques

La ville numérique doit non seulement se montrer respectueuse des droits et libertés des citoyens (et notamment du droit au respect de leur vie privée), mais elle devrait même permettre l’extension du champ des libertés réelles. Ainsi, le droit à la portabilité des données personnelles (créé par le RGPD), habilement mis en œuvre, peut ouvrir des perspectives passionnantes dans le domaine de la mobilité, de la santé, de l’éducation…

C’est ainsi à de réelles innovations démocratiques que la transition numérique des villes peut inviter. Les civic techs (1), dégagées de leur gangue solutionniste, peuvent représenter un réel second souffle pour un municipalisme qui connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse.
Les budgets participatifs en constituent une illustration classique, mais qui peut être approfondie et dépassée pour redonner du pouvoir de décision aux citoyens sur le quotidien urbain.

Enfin, la question de la gouvernance de la donnée (et plus généralement des dispositifs de smart city) est cruciale. Les industriels de la smart city promeuvent des modèles, soit de délégation de service public, soit de partenariat public privé, dans lesquels la collectivité risque d’être dépossédée, si elle n’y prend garde, du contrôle sur les données, techniquement et/ou juridiquement. C’est d’ailleurs l’un des points qui ont fait achopper le projet Quayside promu par Google à Toronto (voir le livre Ne laissez pas Google gouverner nos villes de Jacques Priol, éd. de l’Aube).

Il semble essentiel de repenser la gouvernance de la donnée, afin que l’acteur public, en s’appuyant sur les citoyens et la société civile, reprenne la main. Déjà – c’est bien là le minimum, posé par la loi – en pouvant publier les données produites par les capteurs de la smart city en open data. Il s’agit ensuite de donner corps, à l’échelle urbaine, à la notion de “données d’intérêt général”, posée par la Loi pour une République numérique (un sujet majeur si on pense à Airbnb, Uber ou encore Waze).

Il s’agit aussi de créer des cadres de confiance, dans lequel des acteurs du territoire, de statuts divers, pourraient faire circuler des données, pour créer de la valeur sociale et territoriale (par exemple en matière de transition climatique). On peut également imaginer que des coopératives de données soient créées, en s’appuyant sur la collectivité qui jouerait le rôle de tiers de confiance, pour développer de nouveaux usages, au service des citoyens, dans des domaines tels que la qualité de l’air, la santé ou encore la mobilité.

Au final, c’est fondamentalement le lien entre les citoyens, le territoire et la collectivité que la transition numérique des villes donne l’opportunité de repenser. Les nouveaux édiles ont là l’occasion de démontrer leur originalité et leur capacité de leadership.

Joël Gombin est cofondateur et dirigeant de Datactivist, une coopérative de conseil en ouverture des données. Il est également vice-président de l’Observatoire Data Publica, qui observe les usages de la donnée au service de l’efficacité des politiques publiques.

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