↑  L’entrepreneur bordelais Nicolas Pereira est revenu avec aqui.fr sur le Pacte “Bordeaux Durable” lancé à la mi-octobre et sur ses objectifs réels dans la future campagne.

Des initiatives et programmes pour la protection de la planète et plus particulièrement la protection de l’enviroment dans laquelle habitants, pendulaires et entreprises d’une ville vivent et travaillent, sera de plus-en-plus un enjeu majeur de la ville intelligente. En voici un exemple.

    par Romain Béteille   –   le 22 octobre 2019

Comment “Bordeaux Durable” envisage un “rapport de force”

La protection de l’environnement et l’écologie seront des thèmes majeurs de la campagne des élections municipales à venir et l’un des sujets sur lequel devra se distinguer le futur maire de Bordeaux (c’est même le premier selon un sondage Elabe pour La Tribune). Certains ont décidé de prendre un peu les devants de la campagne qui s’annonce. Nicolas Pereira, entrepreneur bordelais, est l’un d’entre-eux. Le 15 octobre, il a officiellement lancé une initiative “transpartisane” : la création d’un Pacte “Bordeaux Durable”, qui va continuer de se dévoiler dans les mois à venir. On fait le point avec lui sur le sens de cette démarche et ce qu’elle compte vraiment apporter au débat public.

@qui.fr – Vous êtes le fondateur de Solylend et créateur du World Impact Summit, évènement dont la première édition s’est tenue en mai dernier à Bordeaux et dont les ambitions écologiques étaient déjà largement affichées. Quel bilan en tirez-vous ? Organisez-vous une nouvelle édition ?

Nicolas Pereira – Le premier World Impact Summit a mobilisé à la fois les écosystèmes, les collectivités, les élus et le grand public. Nous avons reçu sur la totalité de l’évènement 1800 professionnels et 18 000 particuliers pendant ces trois jours. Il y aura bien une deuxième édition, elle est programmée pour la fin du mois de mai, toujours sur la place des Quinconces mais sur un format un peu différent. L’objectif cette année, c’est vraiment d’aller vers l’internationalisation, on est en contact aujourd’hui avec une dizaine de délégations étrangères de dix pays différents pour les faire venir. Nous allons amplifier le mouvement mais toujours avec la conviction qu’il faut organiser un évènement de ce type de la manière la plus écologique possible. On a donc pour objectif de réduire drastiquement l’impact carbone de l’évènement et construire un évènement très participatif. L’écologie est un thème qui permet aussi une transformation de la façon dont on construit les solutions présentées. On n’est pas dans l’incantation d’objectifs à 2050, sensibiliser le grand public aux grands enjeux du développement durable et aux solutions concrètes est aussi essentiel pour nous.

On va mobiliser les acteurs institutionnels locaux pour préparer le sommet Afrique-France. Nous serons plus larges en termes de thématiques parce qu’on veut une réflexion qui touche tous les continents et pas uniquement l’Afrique, mais on a aussi la volonté de faire du prochain WIS un évènement de pré-mobilisation pour le sommet qui suivra. Ça ne se chevauche pas, on va pouvoir inviter des délégations qui ne seront pour la plupart pas africaines, ce sera complémentaire, y compris dans les équipements utilisés.

@qui.fr – Au milieu du mois d’octobre, vous avez lancé Bordeaux Durable, une “plateforme transpartisane” et un Pacte composé de six grands axes. Certains candidats ont déjà annoncé leurs propositions sur le thème de l’écologie (qu’il s’agisse d’un grand emprunt vert, des objectifs de végétalisation ou d’un “appel de Bordeaux”). Vous allez décliner les actes jusqu’en janvier prochain, en vous plaçant volontairement en amont du début réel de la campagne des prochaines municipales, tout en affirmant ne pas être dans la peau d’un candidat. Ce choix est-il délibéré ?

N.P – Ce projet n’est pas apolitique, mais il est a minima transpartisan, ce qui nous permet d’avoir une vue sur toutes ces propositions politiques qui vont être faites dans les mois à venir. Mon objectif est, au-delà de la course à l’échalote sur la proposition la plus écologique possible, de se demander ce qui est concrètement faisable. C’est très bien que l’écologie soit la thématique au cœur des élections municipales à Bordeaux parce que ça permet au moins de mobiliser les énergies sur de nouvelles idées. Elles sont diverses, qu’il s’agisse des transports ou du financement de cette transition. Concernant le doublement des espaces verts proposé par Thomas Cazenave, par exemple, je ne sais pas si en termes de possibilités foncières ce sera faisable, mais j’adhère à l’esprit de la proposition. Globalement, à ce stade, toutes les propositions qui ont émergé sont intéressantes et il faut saluer la volonté des équipes et des candidats de les proposer. Dans la façon dont on construit le Pacte, on va être complémentaire de tout ça et on veut aussi faire en sorte que ces propositions engagent un peu plus les candidats. On veut mettre en place un baromètre de l’action climatique, un outil de suivi qui permettra de mesurer les engagements tenus ou non. Six ans plus tard, un rendez-vous permettra de dépasser les promesses de campagne.

Il faut être dans le rapport de force, je considère que c’est maintenant que les gens doivent signer ce pacte et montrer qu’il y a une forte mobilisation autour de ces enjeux. On a déjà plus de 200 signatures en moins d’une semaine. Pour rappel, l’appel des écologistes en a obtenu 500 en un mois et demi. Depuis cet appel, la dynamique s’est peut-être renforcée parce qu’on arrive à mobiliser encore plus fortement. Le côté sans étiquette aide aussi sûrement à aller chercher des gens qui ne soutiennent pas forcément EELV. En tout cas, on s’inscrit dans une dynamique pré-campagne pour montrer qu’il y a un soutien fort sur ces enjeux de développement durable. On a la volonté d’être dans la position de pouvoir dire si les mesures des différents candidats sont réalisables ou non et de dénoncer celles qui sont avancées sans plans de mise en œuvre. On est au carrefour des propositions. L’avantage de récolter des signatures, c’est qu’on est presque dans une dynamique de vote pré-élection avec un rapport de force favorable aux thématiques que l’on va porter. Ce pacte propose un socle de proposition sur lequel les gens vont pouvoir abonder et faire leurs propres propositions. Avec les signatures qu’on a déjà récoltées, on a reçu par ailleurs une cinquantaine de propositions, parfois très détaillées que l’on va analyser et rajouter au Pacte au fur et à mesure, du moins celles dont la réflexion est la plus poussée. Elles tournent souvent autour de la qualité de vie en ville, de la présence du végétal, de la biodiversité et de la circulation. On publiera progressivement ces propositions quand elles recevront un soutien, en les faisant remonter dans les actes du Pacte.

@qui.fr – Les deux premiers actes (“ville jardin” et “capitale européenne du développement durable”) sont déjà sortis. Que peut-on retenir du premier ? Quand prévoyez-vous de finaliser vos propositions ?

N.P – Ces six actes seront détaillés sur cinq à dix propositions maximum dans chacun. On va publier un acte en novembre, un en décembre et un en janvier. Notre objectif est de collecter aux alentours de 2000 signatures parce que ça aura un poids électoral pour négocier l’engagement futur des candidats. On va enrichir ensuite ces actes grâce au retour des citoyens qui participeront et imprimer le pacte fin janvier pour le proposer à la signature aux candidats. L’idée, c’est qu’ils acceptent à minima 50% des propositions présentes dans le Pacte, mais on espère qu’ils feront mieux. On vise plutôt une adoption à 80%, en tout cas c’est l’objectif qu’on va défendre. On n’indiquera quel pourcentage des propositions que chaque candidat s’engage à reprendre de manière publique. Il y aura également des évènements autour du Pacte tout au long de la campagne jusqu’au mois de février. Des réunions publiques, une réunion de restitution de sa totalité à la fin de la collecte des propositions en ligne. Le Pacte va aussi s’exporter dans d’autres villes, nous sommes en relation avec certaines au niveau national, dont certaines seront en Nouvelle-Aquitaine, pour que le Pacte vive au-delà des frontières de Bordeaux. On veut en faire un pacte “ville durable” plus global pour permettre à des candidats partout en France de s’engager sur cette dynamique. Ce lancement devrait intervenir d’ici fin novembre.

Sur la ville jardin, ce qu’il est important de retenir, c’est la réflexion pour changer de braquet sur la minéralisation de cette ville, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est aujourd’hui trop importante, et la manière dont on engage une végétalisation forte de la ville. La mesure phare que l’on met en avant, c’est par exemple la transformation du quartier Mériadeck en parc urbain. Il faut en faire un poumon vert, c’est déjà un espace très favorable à la végétalisation parce qu’il contient beaucoup d’espaces suspendus, on peut imaginer la création de jardins suspendus. C’est un quartier qui a été le symbole de la transformation de la ville dans les années 70 et qui peut aujourd’hui être de nouveau le symbole de l’urbanisme du 21ème siècle à Bordeaux et ailleurs. Lieu d’expérimentation, de rénovation urbaine. Il y a aussi l’enjeu de la présence des fontaines et espaces d’eau en ville sur lesquelles on connaît un aspect climatiseur naturel. Ces fontaines ont été enlevées, je pense qu’il faut faire marche arrière. Dans le bâtiment, l’usage de matériaux plus clairs pour favoriser une baisse de la température dans le centre-ville et la mise en place de végétalisation sur les toits pourrait aussi favoriser ce mouvement. On sait aujourd’hui que 15% de toiture végétalisée dans une ville peut représenter jusqu’à trois degrés en baisse de température pendant des épisodes de canicule. Il y a des espaces végétalisables, ça fait partie des propositions phares sur lesquelles les candidats bordelais devront s’engager.

@qui.fr – Vous êtes aussi un entrepreneur à la tête de la plateforme de financement participatif Solylend. Or, on retrouve dans vos propositions le souhait fort d’un volontarisme politique et d’une éco-conditionnalité incitative aux entreprises qui s’installent sur le territoire bordelais. Selon vous, la généralisation de celle-ci en dehors des marchés publics constituerait-elle une étape importante ?

N.P – Pour ce qui est du deuxième volet du Pacte, je pense que quand on présente l’écologie sous la forme de solutions qui ne prennent pas en compte l’économie, c’est qu’on n’a pas compris la démarche. Je suis favorable à ce qu’on assume ce développement économique, qu’on ne l’arrête pas face à l’urgence écologique mais que l’on puisse lui imposer des contraintes fortes pour faire en sorte de transformer les pratiques. Dire que le problème du réchauffement climatique, c’est l’économie et le fait que son développement soit toujours favorisé au détriment de la préservation de la planète, c’est ce qui fait que l’économie est aujourd’hui en dehors de toutes les initiatives de transformation écologique de nos sociétés. Elles doivent y être intégrés et il faudra, demain, se doter d’outils qui contraignent les entreprises à changer leurs façons de faire et qui attirent ou facilitent le développement de nouvelles entreprises qui ont pris ces enjeux en compte, parfois même dès leur création. Il y a deux façons de transformer l’entreprise ou d’inciter à sa transformation. La première, c’est les entreprises qui répondent aux appels d’offre publics. Pour celles-ci, il faut inscrire dans les appels d’offre des critères discriminants sur cet enjeu de transition. L’une des idées proposées dans le Pacte, c’est par exemple d’y introduire la notion d’impact carbone. C’est la mesure la plus large que l’on puisse faire : réduire son impact carbone, c’est revoir l’ensemble de ses process, de l’usage du matériau jusqu’à l’organisation interne. Décrocher un marché demain, ce sera démontrer qu’on est dans une démarche de transformation interne et qu’on fait l’effort de prendre en compte cet impact carbone dans le sourcing de nos produits, la fourniture des matériaux et la mise en œuvre des projets. L’urbanisme est sans conteste le domaine où cette mesure pourrait avoir le plus d’impact.

Pour les entreprises, il faut arrêter de dissocier développement économique et développement durable. C’est ce qui sera au cœur des enjeux des politiques publiques dans l’accueil des entreprises. Notre territoire peut-il se donner pour objectif d’être 100% attractivité durable en favorisant les entreprises engagées dans la transition ? En tant qu’entrepreneur, je pense que c’est faisable, qu’on peut passer un cap. On peut inciter à ça de différentes manières. Par exemple, la métropole doit se doter d’un outil d’investissements dans ces entreprises. Il pourrait fonctionner en partenariat avec la région qui développe déjà des initiatives dans ce sens. Enfin, il faut réfléchir à une manière d’empêcher les entreprises de se sentir seules dans cette volonté d’agir. Ça passera par la structuration d’un réseau au niveau de la métropole ou au-delà et la mise en place d’un véritable programme d’accompagnement dans la transformation. La plupart des entrepreneurs sont face à une feuille blanche et ne savent pas comment mettre en place concrètement des changements. Ce programme viserait large : de l’organisation interne de la structure à la production du service ou du bien.

Les pôles de compétitivité ont un rayonnement international qui est porteur d’image, c’est important de constituer un vecteur de communication dans le cadre d’une volonté politique. Le pôle d’excellence que nous mettons en avant serait complémentaire avec le programme d’accompagnement. Il doit avoir pour objectif de connecter les entreprises avec l’ensemble des écosystèmes : les écoles, les instituts de recherche, les grands groupes ou même les associations qui peuvent avoir des modes d’action intéressants. Certes, ça existe déjà mais on ne doit pas se priver de le faire sur cette thématique. Trouver une meilleure façon de mettre en application des idées et des recherches permettrait de faire de Bordeaux un pôle de création de nouvelles structures. Bordeaux est une des villes les plus dynamiques sur l’entreprenariat. C’est peut-être en créant ces pôles d’excellence que l’on pourrait fédérer les entrepreneurs présents ou futurs, mettre dans la boucle des institutionnels pour structurer des financements et un accompagnement organisationnel et faire en sorte que ce pôle apporte des solutions complètes pour la planète et enfin structurer cet écosystème qui manque d’une réelle dynamique de reconnaissance, à la fois par les acteurs publics et les grandes entreprises. Ça pourrait permettre de donner des visages à cette dynamique.

Romain Béteille     Romain Béteille    /   Crédit Photo : NP

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