↑  Anne Hidalgo, maire de Paris, vendredi à Copenhague.   Photo Laerke Posselt. Vu pour Libération

Le rôle de leadership des villes dans la transition écologique sera peut-être plus significatif que celui des nations.

par Aude Massiot, envoyée spéciale à Copenhague  –   

Michael Bloomberg et Anne Hidalgo : «Les villes sont les mieux placées pour ouvrir la voie de la transition écologique»

A Copenhague, où 94 cités engagées contre le réchauffement climatique tenaient sommet cette semaine, «Libération» a fait débattre Michael Bloomberg, ancien maire de New York et Anne Hidalgo, maire de Paris, sur les mesures à prendre en urgence.

Los Angeles, Paris, New Delhi, Montréal, Boston, Hangzhou et 88 autres villes engagées contre le dérèglement climatique ont vu défiler leurs maires sur la scène du C40 organisé à Copenhague, au Danemark, de mercredi à ce samedi. Trois semaines après la conférence spéciale de l’ONU sur le climat, et les millions de personnes qui ont manifesté dans les rues du monde entier, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a décidé, avec l’ancien vice-président américain Al Gore et la représentante de New York Alexandria Ocasio-Cortez, de soutenir ces élus en prise avec la réalité du changement climatique. Mardi, trente villes (dont Paris) ont annoncé avoir atteint le pic de leurs émissions de gaz à effet de serre. Copenhague va encore plus loin en affirmant qu’elle deviendra, d’ici à 2025, la première ville au monde neutre en carbone.

Dans une interview croisée, Anne Hidalgo, maire de Paris et présidente du C40, et Michael Bloomberg, milliardaire (sa fortune est estimée à 50 milliards de dollars), écologiste et ancien maire de New York, exposent leur vision de ce moment charnière face aux défis des changements environnementaux.

Que signifie concrètement cette alliance verte entre les grandes villes du monde ?

Anne Hidalgo : Lorsqu’on est maire, on a un rapport direct et concret avec les habitants. J’ai été pendant trois ans présidente du C40 [elle passera la main le 1er décembre, ndlr], cela m’a permis d’échanger et de trouver des solutions avec mes collègues maires d’autres villes. On a travaillé avec des scientifiques et des citoyens. Dans la plupart de nos villes, nous sommes engagés dans cette alliance avec ceux qui ont compris qu’il n’y avait pas de futur possible si on n’agit pas dès aujourd’hui. L’écologie est un humanisme. Elle ne peut se concevoir uniquement sur des propositions techniques, mais sur des expériences, sur le quotidien de nos concitoyens.

Michael Bloomberg: Notre monde a un problème : nous pouvons détruire la vie sur Terre. C’est peut-être le plus gros challenge que l’humanité ait eu à affronter. Nous avons besoin de leadership pour faire comprendre l’enjeu et les solutions pour y faire face.

Depuis un an, la mobilisation citoyenne pour le climat s’est attaquée aux élus et à leur capacité à les représenter. Nos démocraties sont-elles capables de faire face à la crise climatique ?

M.B. : Oui. Mais nous avons besoin des bonnes personnes. Le leadership est ce qu’il y a de plus important. En démocratie, beaucoup de gens ont leur mot à dire, mais quelqu’un doit rassembler la population et faire des choix. Regardez mon pays, les Etats-Unis. Nous avons un dirigeant qui n’est pas celui dont on a besoin. Je n’ai rien de personnel contre lui. Mais il n’a pas les bonnes valeurs.

A.H. : Lorsque je me suis attaquée à la pollution à Paris, j’ai dû faire face à beaucoup de résistance. En 2014, j’étais à peine élue maire que j’ai commencé à dire qu’on interdirait les véhicules diesels [en 2024]. Dès lors, les représentants du lobby du diesel sont venus dans mon bureau me dire : «Si vous ne changez pas de discours, on vous fera perdre.» Ils ont ensuite usé de nombreux outils pour nous discréditer. On a agi sur un mandat que nous ont donné les Parisiens. Ceux qui ne veulent pas changer de système sont ceux qui en profitent. Cela fait du monde. Face à ces forces, nous devons agir ensemble. Ce ne serait pas constructif d’adopter une position où on se regarde de loin entre activistes et politiques. L’écologie n’est ni idéologique ni partisane. Les mouvements des jeunes en sont une preuve. Ils questionnent les adultes et les responsables que nous sommes et nous disent : «Nous ne voulons pas de votre monde.» C’est frappant de voir chez des dirigeants économiques et politiques combien l’interpellation par leurs propres enfants est en train de les faire bouger.

L’ancien maire de New York (2002-2013) Michael Bloomberg. Photo Denis Allard

De plus en plus d’activistes pour le climat demandent de cesser ce qu’ils appellent «le fantasme de la croissance éternelle». Etes-vous d’accord ?

M.B. : Je ne sais pas si les choses durent toujours. Mais on doit essayer de les faire durer tant qu’on peut. Je suis optimiste. Les meilleurs jours de l’humanité sont devant nous. Je veux un monde viable pour mes filles et petits-enfants… Ce qui nécessite de préserver le climat, de lutter contre la pauvreté et de fournir une bonne éducation à tous. Jusqu’à maintenant, je nous donnerai un «B -» comme note. Nous avons sorti la moitié de l’humanité de l’extrême pauvreté en trente ans. On a tendance à oublier ces succès. La lutte contre le dérèglement climatique nous offre l’opportunité de fonder un monde meilleur.

Le système économique n’est-il pas défaillant pour faire face aux défis environnementaux ?

M.B. : Défaillant ? Non. Nous avons plutôt besoin de l’ajuster. Nous avons tenté d’autres systèmes économiques. On a oublié à quel point la vie était dure avant. Certes, nous avons un problème d’inégalités de revenus. Mais vous ne pouvez pas vous asseoir et dire que le monde vous doit quelque chose. Vous n’aurez rien si vous ne travaillez pas dur.

A.H. : Je vous rejoins complètement dans l’idée que ce qui est important aujourd’hui, c’est d’agir. Les jeunes nous demandent des actes pour transformer notre économie et nos modes de consommation. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir des ruptures entre un modèle basé sur les énergies fossiles et un autre fondé sur les énergies renouvelables sans une période de transition. Les villes sont les mieux placées pour ouvrir la voie de cette transformation.

Anne Hidalgo, vous avez dit lors du sommet vouloir une justice climatique internationale afin de tenir pour responsables les Etats qui ne respecteraient pas l’accord de Paris. En septembre, treize jeunes ont porté plainte auprès du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, contre cinq pays, dont la France. Qu’en pensez-vous ?

A.H. : J’ai dit ça parce qu’avec Madrid et Bruxelles nous avons porté et gagné une action contre la Commission européenne devant la Cour de justice européenne en décembre 2018. A l’époque, nous avions attaqué des autorisations accordées par la Commission aux constructeurs automobiles pour polluer plus longtemps alors que nous étions en plein scandale du dieselgate. C’était une première. Par la suite, nous avons créé au sein du C40 et avec des ONG européennes, comme Notre affaire à tous, une équipe juridique dans le but d’aider les villes qui souhaiteraient poursuivre en justice des entreprises ou des Etats. Ce qui est loin d’être évident, car les textes internationaux sur lesquels sont engagés les pays ne sont pas contraignants. Exemple : qui peut obliger à l’échelle internationale un président comme celui du Brésil à cesser de déforester l’Amazonie ? Pour protéger et défendre des biens communs, il faut qu’il y ait des instances internationales. On l’a bien fait pour le terrorisme ou les crimes de guerre, pourquoi pas pour le bien public mondial ?

Que pensez-vous de la réaction du gouvernement français qui trouve cette plainte injuste ?

A.H. : Il devrait accepter la dimension symbolique de ce recours. J’ai eu plusieurs fois cette discussion avec Emmanuel Macron. Le leadership international de la France existe, pour beaucoup, parce que l’accord de Paris a été signé dans notre capitale. Nous devons donc être exemplaires et aussi ambitieux que le Danemark, qui s’est engagé il y a trente ans dans la voie de la neutralité carbone. A cause du poids du nucléaire et du diesel, la France a été très en retrait du développement des énergies renouvelables, du recyclage et de la décentralisation de la production énergétique.

Pensez-vous qu’on puisse perdre une élection par manque d’engagement sur les questions environnementales ?

M.B. : Je peux le dire à partir de mes douze ans d’expérience en politique, le public veut des dirigeants en qui il peut avoir confiance. J’en suis un bon exemple. Je suis milliardaire et j’ai été élu dans une ville, New York, dans laquelle j’ai beaucoup plus d’argent que la plupart des habitants. Pourtant, j’ai été réélu deux fois. Lors d’un discours, je me suis demandé : pourquoi ces gens m’écoutent-ils ? Pourquoi me soutiennent-ils ? Ils ne sont pas forcément d’accord avec mes idées, mais ils savent que j’essaierai de faire ce qui est bien. Anne Hidalgo est pareille. Malgré les critiques contre les décisions difficiles qu’elle a dû prendre, par exemple pour construire des pistes cyclables, elle sera réélue.

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